« Ecoutez, aurait voulu dire Siméon Krug, il y a un milliard d’années, il n’y avait pas un seul homme sur Terre, il n’y avait qu’un poisson. Pauvre chose visqueuse pourvue d’écailles, de branchies, et de petits yeux tout ronds. Il vivait dans l’océan, et l’océan était comme un toit au-dessus de sa geôle. Personne ne pouvait traverser le toit. On mourrait si on le traversait, disait-on. Mais il y eut un poisson qui le traversa, et il mourut. Et il y en eut un autre, et il le traversa, et il mourut. Et il y eut un troisième poisson, et il le traversa, et ce fut comme si son cerveau était en feu, ses branchies en flammes, et l’air l’étouffait, et le soleil était une torche dans ses yeux, et il resta gisant dans la boue, attendant la mort, mais il ne mourut pas. Il rampa sur la plage, rentra dans l’eau et dit : « Dites donc, il y a tout un autre monde, là-haut ! » Et il y retourna, et il vécut encore, disons deux jours, et puis il mourut. Et d’autres poissons commencèrent à se poser des questions sur cet autre monde. Et ils sortirent en rampant sur la boue du rivage. Et ils apprirent, tout seuls à respirer l’air. Et ils apprirent à se lever, à marcher, à vivre avec le soleil. Et ils se transformèrent en lézards, en dinosaures, et en bien d’autres choses, et ils continuèrent à marcher pendant des millions d’années, et il commencèrent à se dresser sur leurs pattes postérieures, et ils se servirent de leurs mains pour saisir, et ils se transformèrent en singes, et les singes acquirent l’intelligence et devinrent des hommes. Et pendant tout ce temps, certains, quelques uns en tout cas, continuèrent à rechercher d’autres mondes. On leur disait : » Retournez dans l’océan, redevenez des poissons. La vie de poisson est bien plus facile. » Et peut-être que la moitié d’entre eux étaient prêts à le faire, même plus de la moitié, peut-être, mais il y en avait toujours qui répondaient : « Ne dites pas de bêtises. Nous ne pouvons plus redevenir des poissons. Nous sommes des hommes. » Et aisi, ils ne retournèrent pas à l’océan. Ils continuèrent à monter. ..»
L’histoire :
XXIIeme siècle, les hommes ont résolu leur problème de surpopulation, leur travail se limite aux loisirs et à diriger les grandes entreprises. La main d'œuvre est maintenant assurée par les androïdes, maintenant 5 fois plus nombreux que les hommes, qui remplissent les tâches les plus basses dont l'homme ne veut plus s'occuper. Les androïdes imaginés puis créés par Siméon Krug, maintenant multimilliardaire, sont répartis en catégories alpha, beta et gamma, selon leurs responsabilités.
Alpha Thor Watchman est le bras droit de Siméon Krug et dirige la construction du plus grand édifice jamais érigé : une tour de verre qui permettrait au milliardaire mégalo de pouvoir tarir son obsession : communiquer avec les entités de la nébuleuse planétaire NGC 7293 du verseau qui envoient un signal à la Terre sous forme 2-5-1 2-4-1 2-1...
Silverberg
est vraiment étonnant, et je vais de surprise en surprise. Assurément, il a exploré beaucoup de thèmes de la science fiction...Ici, il nous offre une réflexion très intéressante sur la relation entre créateur et créature : l'homme et son androïde. L'androïde, que Krug a voulu à son image, mais physiquement, athlétiquement, esthétiquement bien supérieur. Restait que cet androïde ne devait pas se soulever contre son son maître, telle la créature de Frankenstein.
Car on ne s'y trompe pas, les androïdes sont dotés d'une conscience, d'une intelligence, mais ils sont enchaînés à leurs maître, ils leur doivent servitude. Les androïdes ont ils des sentiments humains ? Ont-ils même le droit à ces sentiments, à la sexualité ?
Pourtant, ils se sentent hommes. Krug entendra-t-il l'appel silencieux de ses esclaves si humains ?
Sur ce postulat de départ,
Silverberg
nous développe un parallèle avec l'esclavagisme des noirs pendant le XIXeme siècle et la première moitié du XXeme siècle. Comment lutter ? Faut il un soulèvement massif ? Faut il réclamer des droits civiques plutôt par la douceur ? Faut il attendre, dans la prière qu'un miracle se produise, en ayant foi en la nature de l'homme ?Un beau roman. A lire sans attendre.
Extraits :
" Le but des représentants du P.E.A., c’était de faire diffuser dans le monde entier par l’holovision, dans le cadre des informations, des slogans tels que :
EGALITE POUR LES ANDROIDES TOUT DE SUITE. QUARANTE ANS D’ESCLAVAGE, C’EST ASSEZ ! CASSANDRA NUCLEUS EST-ELLE MORTE EN VAIN ?
NOUS EN APPELONS A LA CONSCIENCE DE L’HUMANITE !
ACTION LIBERTE ACTION ! ADMETTEZ DES ANDROIDS AU CONGRES,TOUT DE SUITE !
LES TEMPS SONT ARRIVES, SI ON NOUS PIQUE,NE SAIGNONS NOUS PAS ? "
" Les ectogènes, nés d’un homme et d’une femme, mais hors matrice, étaient trop complètement humains pour servir d’outils ; mais pourquoi ne pas porter le processus au stade suivant et fabriquer des androïdes ?
C’est ce que Krug avait fait. Il avait offert au monde des humains synthétiques, aux talents beaucoup plus variés que les robots, intelligents, doués de longévité et d’une personnalité complexe et, de plus, totalement dociles aux besoins de l’homme.
On ne les engageait pas, on les achetait et, par consentement général, la loi les considérait comme des biens, non comme des personnes. Bref, c’étaient des esclaves. "