Silverberg
admire Joseph Conrad ; il n’en a jamais fait mystère.Des profondeurs de la terre, hommage à Au cœur des ténèbres, à la novella La compagne secrète et au présent roman, il n’eut de cesse d’appuyer des clins d’yeux à ce grand écrivain des mers et de la colonisation.
De l’eau, de l’eau, de l’eau de toutes parts…
La Face des eaux narre l’odyssée d’une petite communauté humaine voguant sur les flots d’Hydros.
Hydros… un nom bien simple et dépourvu de mystère. Mais la géante aqueuse ne se soucie guère de paraître ; elle règne, tranquille et sûre de sa force, sur les destinées des fils de Terra (qui parfois se demandent pourquoi Dieu ou Diable leurs aieux sont venus faire dans cette galère).
Au début de l’histoire, ils sont une quarantaine d’hommes et de femmes, sur une île artificielle.
Ils vivent, sinon en bonne intelligence, du moins en paix avec les Gillies, une race autochtone, imposants mammifères bipèdes et palmés. Mais vient le jour où un humain, l’entrepreneur Nid Delagard, commet l’irréparable condamnant tout le groupe au châtiment invraisemblable : l’exil sur les eaux sans limite d’Hydros !
Dès lors le livre se fait double : roman d’aventure et étude de caractère.
L’aventure, d’abord Faire face à la furie aveugle des poissons-taupes, à celle, méthodique, des poissons-pilons, affronter des créatures anonymes, gigantesques, furtives ou invisibles… sans oublier la Vague.
Avec en point de mire la Face des eaux, continent unique et légendaire (existe-t-il seulement ?), Paradis ou Enfer, lieu de tous les rêves ou de tous les dangers.
L’étude de caractère, ensuite et surtout. La vie de l’équipage occupe la plus grande part du récit : routine des tâches de bord, vie en vase clos, exacerbation des sentiments. Et de s’attarder plus particulièrement sur Valben Lawler, docteur de son état, orphelin d’un monde qu’il n’a pas connu. Un personnage éminemment romantique.
On suit son attirance pour la libre Sundira, son opposition à Delagard, son contraire, un scélérat, un frustre, si facile à haïr. Et pourtant…
…et pas une goutte que nous ne pussions boire
A son retour aux affaires romanesques dans les années 80, Robert
Silverberg
s’est accordé sur la mode des amples romans et des cycles. Ce qui lui valut nombre de délayages coupables.Néanmoins, de temps en temps, au travers des centaines et des centaines de pages déposées sur les rives de la fin du siècle, on aperçoit encore des œuvres qui brillent de l’éclat de ses plus belles perles.
La Face des eaux est de celle-ci.